Qu’est-ce qu’on n’enseigne plus aujourd’hui ? (et c’est très bien comme ça !)

À l’occasion d’une sortie technique dans une des carrières dans laquelle nous pratiquons régulièrement (la Carrière de Roussay), j’ai pu entendre un moniteur enseigner l’usage des tables MN90, de la même manière qu’on me les avait enseignées il y a plus de vingt ans (quand je repassais mon niveau 2). J’ai été quelque peu interloqué car le Manuel de Formation technique est très clair sur ce sujet, il n’est demandé aujourd’hui aux plongeurs autonomes que de connaître le principe de fonctionnement des tables fédérales pour illustrer et comprendre les modèles de décompression. Il n’y a donc plus du tout lieu de faire des exercices de tables, mais au contraire de bien maîtriser son ordinateur de plongée, en particulier le mode de planification. Cela a été pour moi l’occasion de réfléchir aux évolutions des contenus de formation et d’en constituer un florilège, avec des exemples par niveau, et je vous propose de vous les exposer dans la suite. C’est aussi pour cela que j’ai volontairement pris cette photo en introduction de mon article pour illustrer l’évolution de notre société : Dans les années 50, on enseignait le repassage aux filles (et pas aux garçons), et on considérait cela normal… Heureusement, notre société a évolué.

Comme le souligne le titre de ce billet, mon idée est de vous proposer un « best-of » des gestes techniques ou de la théorie qu’on n’enseigne plus aujourd’hui, Je vais prendre quelques exemples par niveau de formation. Cette liste n’est pas exhaustive, il y a plein de trucs qu’on a (fort heureusement) arrêter d’enseigner !

Formation N1 : Le décapelage sous l’eau

Décapelage dorsal

Dans des temps immémoriaux, on apprenait à décapeler son bloc sous l’eau. Je parle de l’époque où j’ai commencé à plonger, en 1978. À l’époque, les gilets stabilisateurs n’existaient pas, les plongeurs « B.E. » (traduisez « Brevet Élémentaire », le Niveau 1 d’aujourd’hui), plongeait avec le bloc sur le dos, simplement tenu par des sangles, un peu comme un sac à dos. Comme l’activité était encore proche de nos amis militaires, pour d’obscures, on nous expliquait qu’il était important de savoir faire basculer son bloc par-dessus son dos pour le faire passer devant soi, et pouvoir se faufiler alors dans une excavation… On voit bien qu’il n’y avait pas d’intérêt pédagogique, à part démonter une certaine aisance ! Aujourd’hui, avec nos gilets la question ne se pose plus !

Formation N1 : Le signe « Je ne parviens pas à passer ma réserve »

Toujours à cette époque, les blocs n’avaient pas de manomètre, la réserve était gérée par un procédé mécanique simple de ressort taré à la pression de 50 bar. Quand on s’approchait de la réserve la respiration devenait de plus en plus dure, il convenait alors de tirer avec son bras gauche sur une tige métallique qui libérait le 50 bar restant dans la bouteille pour gérer la fin de plongée. Malheureusement, il arrivait que cette tige soit déjà tirée lors de la mise à l’eau, où qu’elle soit actionnée sous l’eau sans qu’on sent rende compte. La respiration devenait plus dure, on essayait de passer sur réserve, on y arrivait, on indiquait alors par le signe adéquat, et on comprenait, qu’on était sur un bloc vide ! il fallait alors remonter à deux sur un détendeur (souvent personne n’avait d’octopus). On comprend bien combien l’apport du manomètre et l’ajout systématique de l’octopus nous a sécurisé dans notre pratique !

Signes CMAS historiques

Formation N1 : Le tuba enchanté

Tuba enchanté

Jusqu’à récemment j’ai pu rencontrer des plongeuses et des plongeurs qui ont eu à subir cette « torture » de devoir nager des longueurs de piscine avec le masque à l’envers (la sangle sur le front, et les verres sur l’arrière du crâne) et le tuba en bouche pour travailler la maîtrise de la D.B.N. (Dissociation Bucco-Nasale), à savoir être capable d’inspirer et d’expirer par la bouche avec le nez dans l’eau. J’ai toujours trouvé cela brutal, et fort heureusement, cet exercice « pédagogique » a disparu des pratiques d’enseignement ! Il y a plein d’autres manières beaucoup plus souples pour apprendre à maîtriser cette fameuse D.B.N. (qui ne sert au global qu’à réalise un vidage de masque). Encore un truc qu’on a bien fait d’abandonner ! On dégoutait nos stagiaires plutôt que de leur donner envie de plonger !

Formation N2 : Les Tables MN 90

Quand j’ai repassé mon Niveau 2 en 2001 (et je me rappelle combien j’ai galéré pour l’avoir) on m’a enseigné les Tables MN 90…. Moi je ne connaissais que les Tables GERS 65 (celles qui indiquaient « 30 mètres – 30′ – Pas de paliers » !). J’avais été surpris du durcissement apporté par cet outil… Mais déjà à l’époque quasiment tous les plongeurs qui passaient ce diplôme investissaient dans un ordinateur de plongée (l’ordinateur populaire alors était le « Suunto Vyper »). Les tables restaient enseignées cependant comme le moyen sûr de gérer sa décompression et de planifier ses plongées… Mais on ne nous apprenait pas à manipuler nos ordis ! Il a fallu quand même attendre une bonne quinzaine d’années pour que cet enseignement (l’utilisation des ordinateurs de plongées) soit enfin fait et que les tables ne soient utilisées que comme moyen d’illustration de la décompression. Donc quand j’entends un moniteur, comme celui cité en introduction de cet article continuer à enseigner cet outil comme l’ultime et seul moyen de gérer sa sécurité, je me dis que nous avons encore du chemin à parcourir ! J’avoue cependant avoir plongé longtemps avec mes tables dans ma stab…

Tables MN90

Formation N4 : la R.S.E.

Remontée sans embout

La R.S.E. (Remontée Sans Embout) de 20 mètres était une épreuve de l’examen de Plongeur Niveau 4 (elle existait aussi à l’examen de Moniteur Fédéral 2ème Degré, mais de 30 mètres) censée démontrer l’aisance du guide dans une situation d’urgence ou il n’a plus accès à son détendeur et qu’il doit rejoindre la surface depuis la profondeur de 20 mètres, ce en expirant constamment. C’était un exercice difficile à enseigner, et qui stressait pas mal les stagiaires. Personnellement, j’aimais beaucoup réaliser cette épreuve, la sensation d’avoir un trop plein d’air dès la profondeur de 10 mètres était assez surprenante ! Cependant, à la suite de plusieurs accidents, elle a été suspendue, pour être finalement abandonnée, aucune justification pédagogique ne venant prouver le bien-fondé de la maintenir dans les cursus de formation. Aujourd’hui nos Guides de Palanquée sont tout aussi bon, sans avoir eu à faire cet exercice dangereux qui était avant tout mental.

Formation N4 : Le sauvetage palmes (devenu la D.T.H.)

Encore une épreuve de l’examen de Plongeur Niveau 4 qui a disparu corps et biens ! Il s’agissait de secourir un plongeur simulant une syncope, et dont le gilet est vide et hors d’usage, comble de malchance, celui du postulant est lui aussi inopérant ! Cet exercice servait à démonter la technique de palmage du futur guide qui devait être suffisamment efficace pour remonter uniquement à l’aide de ce moyen le plongeur syncopé. Sur le fond, c’était un bel exercice de démonstration de la maîtrise de technique de palmage, mais encore une fois, les stagiaires pouvaient se retrouver en situation d’accident, notamment en essoufflement. La justification de la réalité de cette situation étant difficile à trouver, l’épreuve a été purement et simplement abandonnée.

Sauvetage palmes

En conclusion, et on le voit bien, l’enseignement de la plongée n’a cessé d’évoluer avec le temps, notamment grâce à la modernisation de l’équipement, la démocratisation de l’activité. N’oublions pas que notre sport favori est jeune ! Cela fait moins de 100 ans que l’on peut plonger en scaphandre autonome ! Par contre ne soyons arc-boutés sur des pratiques qu’il faudrait enseigner à tout prix, car « on l’a toujours fait » ou « c’est mieux de savoir cela, au cas où »… Évoluons avec notre temps, et prenons les modifications des enseignements comme une amélioration ! Et surtout n’oublions pas, tous les plongeurs font les mêmes bulles !

Et vous avez identifié des choses qu’on enseigne plus aujourd’hui ? Merci par avance pour vos retours !

9 réflexions au sujet de “Qu’est-ce qu’on n’enseigne plus aujourd’hui ? (et c’est très bien comme ça !)”

  1. Bonjour.
    Personnellement je mets juste un bémol sur le tuba enchanté, que j’utilise toujours de temps en temps, non pas pour apprendre le vidage de masque mais pour maintenir cette dissociation, une fois acquise.
    A+

    • Salut Jean-Louis, je trouve que c’est trop brutal, on peut bosser la DBN sur vidage de masque simple dans peu d’eau

  2. Salut pour ma part je donne toujours un cours sur les tables mn90 en plongée simple et plongée successive pour faire une planification pour la journée de plongée chose que l’ordinateur ne fait pas et surtout pour faire des épaves on peut voir a partir de quand on a un paliers. Et j explique la remontée d urgence car quand l’ordinateur se transforme en profondimetre il faut bien leur expliquer. Et pour le décapelage on l enseigne toujours avec le gilet mais en surface

  3. Bonjour Philippe,

    Il est temps effectivement d’arrêter d’enseigner toutes ces choses devenues désuètes ou complètement dépassées.
    J’avais écrit il y a 6 ans maintenant un article sur « pourquoi je n’enseigne plus les tables »
    A l’époque ça avait révolté les internautes. Mais au final, jamais personne en plongée loisir ne fait de calculs de tables avant sa plongée. Le monde a évolué 😉
    Pour ce qui est de la remontée palmes et de la RSE, heureusement que ces pratiques dangereuses ont été abandonnées !
    Quant au tuba enchanté, je n’ai jamais compris pourquoi cet exercice existait. Ayant été prof de natation et maître nageur avant de pratiquer la plongée, cela me paraissait étrange et violent.
    Il existe bien d’autres façons de faire.

    Merci pour cet article.

    • Bonjour Hélène,
      On est complètement en phase, il faut adapter la formation au contexte de la pratique …
      On n’imagine pas aujourd’hui enseigner l’arithmétique avec un boulier !

  4. Très bel article, un jour la Remontée Assistée entrera dans ces pratiques perdues au profit de manœuvres plus réalistes en cas de plongeur inconscient ou paniqué. Les moniteurs qui font enchaîner cela dans une même plongée sont pourtant parfaitement conscients du risque des profils yo-yo que cela génère et les risques associés mais malgré cela, ça reste bien souvent l’alpha et l’oméga des passages de niveaux 🙂

    • Merci François pour tes encouragements et ton retour !
      Oui, j’ose espérer que cela va évoluer en ce sens… Sur la dernière formation PA20 que j’ai réalisée, mes stagiaires n’ont fait que très peu de remontées complètes 20-3, et ce sont d’excellents autonomes aujourd’hui !

  5. Bonjour
    C’est bien à la lecture de tels avis que je me rends compte être aujourd’hui de plus en plus en décalage avec la pratique de la plongée aujourd’hui…
    Entre la formation quasi militaire que j’ai eu il y a 35 ans et le dilettantisme complet des formations d’aujourd’hui, il y a un gouffre….
    A force de banaliser, de minimiser les risques pour élargir le public, on arrive à faire des palanquées de promeneurs sous l’eau incapable de réagir de manière adéquate le jour ou cela part en vrille… Il y a PADI pour cela… Tout va toujours bien jusqu’au jour ou…et là c’est le drame…
    Bien sur, le tuba enchanté, le signe je ne passe plus ma réserve, le calcul exact de la minute de sortie avec les tables n’ont plus lieu d’être.. mais vous expliquez comment les procédures d’urgence ou votre ordinateur vous laisse tomber en mode profondimètre…vous expliquez comment la différence entre une remontée trop lente et une remontée à vitesse normale? Que l’on ne fasse aucun calcul, que l’on demande aucun résultat, entièrement d’accord nous faisons de la plongée par un exercice obscur et éliminatoire de mathématique, mais de là à rien faire……
    En piscine, l’exercice du décapelage, juste l’exercice peut être un jeu qui permet au plongeur de gérer son aisance et sa flottabilité sous l’eau… c’est un jeu qui n’est en aucun cas éliminatoire pour le niveau…
    La RSE, qui se pratiquait détendeur en main n’avait pour but que de démontrer par l’expérience qu’il est possible de remonter sans bouteille, que ce n’est pas la mort en direct en cas de panne d’air…. Mais cela n’arrive jamais vous allez me dire….sauf que à ne jamais s’exercer, jamais expérimenter, le jour ou vous pourriez en avoir besoin, vous devrez mettre en œuvre quelque chose que vous n’avez jamais vu ni essayé…Pas gagné… Les chauffeurs d’avions passent leurs vies à simuler les situations les pires, pour le jour J savoir quoi faire sans réfléchir….
    Le reste est du même tonneau…
    Lorsque je vois en fosse des apprentis plongeurs faire des assistances les yeux rivés sur leurs ordinateurs, être incapable de se rendre compte que l’on stagne, redescend ou monte à fond….que le plongeur en face est en détresse…. être incapable de lire le milieu, de le ressentir… Sur cette exercice, même autrefois, je n’ai jamais disqualifié un élève au prétexte qu’il s’était arrêté, qu’il avait palmé, qu’il avait regonflé, car, le but est de remonter l’assisté… par contre l’absence de réaction était rédhibitoire directement…
    Mais bon, voir un MF22 m’expliquer qu’en voiture on ne compte pas les arbres pour se rendre compte de la vitesse mais que l’on regarde son compteur, je passe mon chemin de la formation, que j’ai donné pendant des années et je m’en vais profiter tranquillement de mes plongées….
    C’est exactement comme l’enseignement des accidents, faire une vaste mélange entre les ADD et une surpression pulmonaire, confusion rédhibitoire hier, et parfaitement tolérée aujourd’hui… les secours géreront….
    Dire qu’un plongeur qui n’a fait que peu de remontée 20-3 est un bon plongeur autonome, vous en aurez la certitude que le jour ou…et là, si cela vient à mal se passer, vous n’aurez surement que vos regrets éternels… Il suffit de voir des plongeurs « expérimentés » se joindre un jour en fosse à une formation N2 et voir la piètre performance d’assistance qu’ils sont encore capable de mettre en œuvre…. cela ne me rassure pas du tout….
    Mais voilà, chacun son point de vu. Je suis d’accord qu’il convient d’évoluer avec son temps…. mais le milieu sous marin reste un milieu hostile et dangereux pour l’homme… et ce n’est pas en banalisant que l’on sécurisera la pratique….

    • Bonjour Érik, merci pour ta contribution… conséquente ! Je vais tenter d’apporter un éclairage sur les points que tu soulignes.
      Je ne rentre pas dans la comparaison PADI / FFESSM : les écoles sont différentes, dans un cas on est dans de la plongée récréative encadrée, et dans l’autre on valorise l’autonomie. Ce sont 2 approches radicalement différentes.
      Enseigner l’usage d’un ordinateur, c’est aussi rappeler des procédures que l’ordinateur ne sait pas analyser ou gérer. il faut rappeler le libre arbitre et la prise de décision qui appartient au plongeur autonome Ainsi je m’efforce dans mes cours de rappeler les différences entre une remontée trop lente et une remontée rapide, et les procédures qu’il convient d’appliquer.
      Sur le sujet du décapelage sous l’eau, cela peut être un jeu sympa à réaliser, mais uniquement avec des plongeurs déjà certifiés. C’est un plus, mais cela ne doit jamais au grand jamsi e^tre réalisé dans un cadre d’enseignement. Il m’arrive d’ailleurs de le faire réaliser en milieu artificiel.
      Sur la RSE, il ne restait que la FFESSM à continuer à exiger que cet exercice soit réalisé. Le trop grand nombre d’accidents, dont le dernier, dramatique, a conduit la fédération à le supprimer. Pour moi, ce sujet est clos. Il n’y a pas lieu d’y revenir.
      Sur le sujet des assistances, je demande toujours à mes élèves d’utiliser l’environnement plutôt que l’ordinateur pour savoir où ils en sont. L’indication de l’ordinateur est la profondeur à laquelle on se trouvait 1 ou 2 secondes auparavant.
      En 45 ans de plongée, dont plus de 20 en encadrement/enseignement, je n’ai eu à réaliser une procédure d’assistance que 3 fois (je suis peut-être chanceux) dont 2 dans un cadre de formation N4. Je pense qu’il faut donc relativiser sur la performance de réalisation. Par contre j’invite toujours mes élèves à continuer à se recycler régulièrement pour répéter les gestes techniques d’assistance et de sauvetage. Ainsi nous avons mis en place dans notre club une journée annuelle (plutôt dédiée aux plongeurs N3, mais qui reste ouverte à tous) une journée de recyclage technique. cela présente un intérêt multiple : répéter les gestes, se rendre compte que c’est difficile, apporter de l’humilité dans la pratique et renforcer la prudence des pratiquants.
      L’objectif de mon billet n’est pas de banaliser, mais bien de rappeler qu’il faut, en tant que moniteur, relire régulièrement les standards de formation (et s’y conformer). Et si on se trouve on peut toujours trouver une école qui durcisse les standards (comme GUE), ou les assouplisse.
      Rappelons que tous les plongeurs font les mêmes bulles !

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