La narcose, c’est pas drôle

J’ai souvent croisé des plongeurs qui « ne narcosent jamais » (la narcose n’est pas virile), J’ai aussi pu remarquer qu’il est toujours classiquement de bon ton d’évoquer en phase d’enseignement la narcose sous un aspect « joyeux ». En effet, on parle souvent des effets euphorisants de la narcose, ce qui à mon sens vient à faire percevoir aux stagiaires en formation, que cet accident n’est pas si grave que cela. Je partageais jusqu’alors ce « sentiment », enfin jusqu’à ce que je vive une expérience narcotique assez désagréable.

Le 12 Août dernier, je plonge avec ma binôme préférée, plongeuse niveau 3 expérimentée, avec qui j’ai vraiment l’habitude de pratiquer et avec qui la communication passe autant par le regard que par les signes, tellement nous avons l’habitude de plonger ensemble.

Nous passons cette journée à plonger sur les épaves de la SN1 (célèbre bouée d’atterrissage des cargos pour entrer dans l’estuaire de la Loire). Cette zone est connue des plongeurs de la côte d’amour comme étant truffée d’épaves pour la plupart datant de la première guerre mondiale. Ces épaves sont souvent nommées par leur forme, car il est très difficile de les identifier (il peut être intéressant de consulter le livre de Alain Foulonneau et André Meignen à ce sujet). Ces navires sont généralement coulés à une profondeur d’environ 40 mètres et constituent les plongées profondes de choix généralement effectuées pendant l’été.

Nous plongeons donc ensemble le matin sur la « SN1 couchée », nous plongeons à l’air avec notre équipement habituel, un bloc de 15 litres gonflé à 225 bar sur le dos. La plongée se déroule sans encombre, nous effectuons 17 minutes d’exploration au fond et entamons notre remontée. Mon ordinateur étant positionné sur un mode contraignant, celui-ci m’impose un palier profond à 9 mètres (1 minute), puis un palier à 6 mètres (2 minutes), puis un palier obligatoire à 3 mètres (8 minutes) et enfin un palier de sécurité que je n’effectue pas entièrement.

Nous mangeons à bord du navire, nous nous hydratons correctement, et après un intervalle surface de 02h45, nous nous immergeons sur la « SN1 Cassée » (après avoir bien sûr pris un nouveau bloc 15 litres gonflé à 225 bar et planifié notre immersion). Cette épave est constituée en deux parties séparées par un no man’s land de sable d’une trentaine de mètres. La proue est petite (environ 15 mètres de longueur) et est retournée sur elle-même. La poupe est plus imposante, et on peut y admirer des homards ainsi qu’un banc de lieus de taille respectable ! Quelques plongeurs chanceux y ont même vu des mola-molas. Un bon descriptif de l’épave peut être consulté sur plongepave.com

L’ancre de notre bateau est posée à côté de la partie avant, Nous sommes les premiers à arriver sur l’épave, chose que j’apprécie toujours ! Nous faisons le tour de la proue et regardons  à l’intérieur par les anfractuosités au niveau du sable (environ -39 mètres). Je prends alors la décision de traverser le no man’s land pour rejoindre la partie arrière. Je fais part de ma décision à ma binôme et nous voici partis en suivant bien l’axe du navire (je prends soin de régler mon compas après m’être éloigné suffisamment de la proue pour éviter les perturbations dûes au métal : cap 150° pour rejoindre la poupe, 330° pour rentrer sur le mouillage à l’avant). après quelques coups de palmes dans le désert, nous apercevons cette masse sombre qui se révèle avec un grand banc de tacauds.

A ce moment là, je suis pris d’un angoisse irrépressible. J’entâme un dialogue intérieur où, d’après mes souvenirs confus, 2 parties en moi s’affrontent : le plongeur rationnel et le plongeur émotionnel. L’émotionnel prend rapidement le dessus, et je me retrouve persuadé que nous n’allons jamais retrouver la partie avant de l’épave (alors que mon compas est déjà réglé sur 330° !), cette angoisse se transforme pratiquement en panique et je suis persuadé que nous allons mourir. Mon rythme respiratoire s’accélère (je consomme habituellement 15 à 17 litres/min, je passe alors à plus de 40 litres/min, dixit mon ordinateur). Le plongeur rationnel reprend alors le contrôle des opérations, je me rends compte que je vais vers l’essoufflement, je me calme, je force sur l’expiration et je remonte de quelques mètres en me rapprochant de ma binôme que j’alerte  en agitant mon phare de haut en bas. Comme je n’ai pas récupéré tous mes esprits, je ne parviens pas à lui expliquer que « Ca ne va pas » ou que « Je suis narcosé »… tout ce que je parviens à faire est de tenter de lui dire que « J’ai peur ». Il n’y a pas de signe normalisé pour cela, et à la place elle comprend « Regarde le beau homard » qui justement est tout à côté de nous. Je lui demande donc de faire demi-tour et comme nous n’avons fait que 7 minutes de plongées sur les 18 prévues, elle me fait signe que non et nous partons vers l’hélice où nous admirons quand même le banc de lieus énormes. La panique me reprend et je ne peux qu’accompagner ma binôme en tentant de juguler ma peur….

nous retraversons le no man’s land et nous retrouvons la ligne de mouillage où nous entamons notre remontée à la 18ème minute d’immersion. Je reprends alors totalement mes esprits et j’écris sur mon ardoise : « J’ai eu un coup de flip ». Ce que ma binôme ne comprend pas, car rien dans mon attitude en plongée ne l’a laissé suggérer ! Nous effectuons tous nos paliers comme il convient et nous remontons sur le bateau.

Au retour, je sens des douleurs musculaires dans mes bras, je le signale au Directeur de Plongée, qui me propose de l’O2 immédiatement. Je n’en prend pas car je n’ai aucun signe, à mon sens d’accident de dessaturation. Le lendemain, j’ai d’énormes courbatures, dans les épaules et les bras, qui sont sans nul doute le résultat de la tétanie musculaire que je me suis infligée lors de ma crise de panique sous-marine…

Cette expérience me fait tirer les conclusions suivantes : pour limiter les risques et ne pas s’exposer inutilement à la narcose, plonger avec un Nitrox 30/70 pour une plongée à 40 mètres me parait plus que souhaitable. Un plus est de partir plonger avec un stock de gaz suffisant permettant de gérer une surconsommation éventuelle en cas d’essoufflement et dans ce cas un bloc de déco au Nitrox 80/20 me parait un vrai plus (il vous faut la qualification Nitrox confirmé dans ce cas). Cela présente aussi l’intérêt de raccourcir les temps de palier, y compris les paliers de 9 et 6 mètres.

De même, l’utilisation systématique d’une ardoise immergeable peut faciliter la communication, il ne faut absolument pas hésiter à se rappeler les signes et se mettre d’accord sur du langage non conventionnel avec son binôme ou les membres de sa palanquée. J’en déduis également que malgré mon expérience et celle de ma binôme, la narcose peut être extrêmement difficile à détecter !

Que dire alors du renforcement de la vigilance pour tout guide qui doit surveiller les membres de sa palanquée … et qui doit absolument éviter de s’exposer au risque narcotique…

Il est possible de consulter de très belles photos de cette épave sur regardelamer.com