Lorsque je suis amené à former des plongeurs sur divers brevets, j’ai souvent le retour de leur part que « tel moniteur m’a dit de faire comme ça, et toi, tu m’indiques une autre façon »… De fait les stagiaires sont souvent interloqués par des postures prises par les moniteurs car elles peuvent les perturber dans leur compréhension des attendus pour réussir les gestes qu’il leur est demandé de réaliser : ainsi tel moniteur expliquera à ses stagiaires que pour envoyer un parachute de palier, il n’y a pas de « salut » hors de l’usage d’un « spool » tandis que tel autre moniteur favorisera l’usage du bout enroulé autour du plomb de parachute, et qu’un troisième préférera voir ses stagiaires lover en « 8 » le même bout… L’objet de ce petit billet est donc de faire le point sur ses aspects, de proposer une méthodologie que va permettre aux stagiaires de progresser en cohérence, et de comparer les autres approches, notamment celles des écoles américaines (PADI, SSI, SDI pour ne citer qu’eux).
Je ne fais pas partie de ces moniteurs qui se complaisent à critiquer les écoles de plongée différentes de celle à laquelle ils ou elles sont affiliés. En effet, nous faisons toutes et tous les mêmes bulles sous l’eau, nous dialoguons avec les mêmes signes, l’enseignement dispensé (et reçu) sert à transmettre et à permettre d’acquérir des compétences, des aptitudes, ou des « skills » (chez nos amis anglo-saxons). Certaines écoles mettent l’accent sur l’autonomie, et d’autres pas, c’est là que l’apprenant doit déterminer ce dont il a envie : plonger sans encadrement subaquatique ou préférer la présence rassurante d’un guide en toute circonstance. J’avoue que je trouve cela très agréable de plonger avec une personne qui connaît parfaitement le spot de plongée et qui va s’assurer que l’ensemble de la palanquée passe un bon moment subaquatique, cependant, j’apprécie aussi pour voir explorer à ma guise un spot, que je le connaisse ou pas.
Nous autres latins, et plus particulièrement français, sommes très attachés à la notion de liberté pédagogique. Mais, c’est quoi au juste ? Pour un moniteur de plongée, il s’agit, dans le cadre d’une formation dispensée pour emmener un stagiaire à l’obtention d’un brevet, de pouvoir choisir l’ordre des thèmes enseignés, les sujets d’étude et l’articulation temporelle entre les thèmes et les sujets, pour mettre en place une démarche spécifique de formation.
Ce cadre pédagogique va donc faire que l’enseignement du Niveau 1 dispensé par un moniteur sera très différent si il est réalisé par un autre moniteur : tel MF1 enseignera en tout début de formation le vidage de masque, tandis qu’un autre l’enseignera à la fin du premier tiers de la formation. De même, un moniteur enseignera l’autonomie au Niveau 2 en fin de formation, alors qu’un autre dispensera un peu de savoir sur l’autonomie à chaque séance, car il aura privilégié une approche transversale.
Certaines écoles de plongée ne laissent pas de liberté pédagogique au moniteur (c’est plutôt le cas des écoles américaines, comme PADI ou SSI). En effet, celui-ci doit dérouler une séance selon un modèle déterminé dans le référentiel de formation, et il doit enchaîner les cours selon une progression pré-déterminé. Cela présente l’avantage de former partout dans le monde selon les mêmes critères de qualité, et de garantir une répétabilité des cours. Ainsi un stagiaire pourra commencer une formation « Advanced Open Water » en France, la continuer au cours de vacances en Thaïlande, et obtenir son diplôme lors d’un séjour en Égypte. J’ai moi-même rencontré un ressortissant australien en Indonésie, qui préparait le diplôme de Divemaster (1er niveau de diplôme professionnel chez PADI, qui permet de travailler dans un centre en tant qu’encadrant de plongée en exploration), sa préparation se faisait en parallèle dans plusieurs centres (en Australie et en Indonésie), et il y validait ses « skills » les uns après les autres de façon indifférenciée par rapport à la localisation géographique. Il était donc être suivi et formé par plusieurs moniteurs qui ne se connaissaient pas mais qui déclinaient le même référentiel de formation.
L’approche préconisée par la FFESSM, l’école de plongée à laquelle je suis affilié, est totalement différente. En effet, nous disposons d’un « Manuel de Formation Technique » (ou M.F.T.) qui regroupe l’ensemble des brevets et qualifications que l’on peut délivrer à des stagiaires (ce manuel est en accès libre et public, à la différence des référentiels privés, parce que réservés à un usage commercial, des écoles américaines). Chaque chapitre du M.F.T. est structuré à peu près de la même façon. Le profil général du plongeur titulaire du brevet (ou de la qualification) est brièvement décrit, puis les conditions d’accès à la formation sont détaillées. Les règles d’organisation et de délivrance de la certification sont ensuite décrites. Enfin, vient le tour des compétences à acquérir, avec pour chacune d’entre elles, la liste des savoirs / savoir-faire / savoir-être à démontrer pour lesquels les critères de réalisation sont explicités, et enfin un commentaire éclairant ces aspects. La construction de la progression pédagogique appartient ensuite au moniteur qui devra s’attacher à garantir le respect du M.F.T. et la complétude de la formation.
Cette latitude est vraiment très intéressante, car elle permet d’adapter les approches en fonction des stagiaires, des conditions de plongée, pour aboutir à des plongeurs ayant les mêmes aptitudes. Si on regarde de plus près ensuite la façon don on va enseigner la remontée assistée, on pourra avoir une approche où on enseigne l’usage de la purge lente, de la purge rapide, du fen-stop… chaque moniteur ayant ses préférences, et chaque stagiaire ayant son background qui va l’orienter vers une pratique plutôt qu’une autre.
Ce qu’il faut par contre vraiment éviter, c’est d’avoir des discours contraires au sein d’une équipe de moniteurs, car cela est dévastateur sur l’apprentissage (par exemple tel moniteur qui ne jure que par le gonflage « à la bouche » du parachute, et tel autre qui ne veut voir que le gonflage à l’aide de l’octopus…). Ainsi, un cadrage pédagogique, réalisé en amont des formations permet d’unifier et de lisser les enseignements, tout en laissant une grande liberté à chaque moniteur. Cette méthodologie a été mise en œuvre au sein de mon club, et j’ai pu en voir les bienfaits, car les moniteurs avaient un discours plus argumentés, évoquaient diverses techniques, et proposaient tous une même approche (car décidée en commun), tout en ouvrant sur les autres façons de faire.
Un autre aspect intéressant de cette liberté pédagogique est la constante remise en question sur sa pratique qu’un enseignant se doit de porter sur ses propres usages. Ainsi par l’échange et la confrontation de pratiques et de progressions, on peut réellement améliorer le contenu des formations que l’on dispense afin de les rendre plus dynamiques, ludiques et intéressantes.
Vous l’aurez compris, je suis très attaché à cet espace de liberté. Je ne me vois pas effectivement pratiquer dans un cadre « contraint » où je dois faire apprendre un geste technique d’une seule et même manière. Et vous, moniteurs et stagiaires, avez-vous des réflexions sur la liberté pédagogique ? Peut-être avez vous une double certification, et dans ce cas, comment organisez-vous vos formations ? Quel est votre vécu par rapport à cela ? Merci par avance pour vos retours !
a propos de la liberte pédagogique et de la chronologie
elle est limitée par le respect des prérequis surtout pour l enseignement du niv 1
au final tout le monde devrait parler le même langage en respectant les fondamentaux
Merci Luc ! De mon point de vue, la liberté pédagogique s’exprime par la manière d’aborder une séquence d’enseignement, et par le moment où cet enseignement est réalisé dans la progression : Par exemple, tout le monde n’enseigne pas le VDM de la même façon, et certains l’enseignent très tôt (première ou deuxième séance), quand d’autres le font plus tard… Tout en respectant les pré-requis de savoir-faire et de sécurité ! 😉