Enseigner l’usage des Tables MN90, est-ce que c’est anachronique ?

Chaque saison, j’interviens sur un certain nombre de formations. Dans les cours théoriques qui sont dispensés, l’enseignement de l’usage des Tables MN90 figure toujours au programme des formations Niveau 1, Niveau2, Niveau 3 et Niveau 4.  A l’heure où tous les plongeurs plongent avec un ordinateur de plongée, la  question de l’anachronisme de cet enseignement se pose réellement. Je vais tenter dans la suite de cet article d’apporter des éléments de réflexion à destination des plongeurs préparant un brevet et des moniteurs qui vont dispenser ce cours sur les différents niveaux. Je commencerai donc par rappeler ce que l’on enseigne à chaque niveau et la finalité des cours dispensés.

Pour les plongeurs préparant le Niveau 1, le cours sur les Tables MN90 consiste juste à les sensibiliser à la notion de courbe de sécurité, et à leur expliquer qu’a priori, les plongées avec des paliers de 10 minutes, ce n’est pas pour eux. Au Niveau 2, on approfondit le cours en introduisant les notions de plongée simple, plongée « con »-sécutive, plongée successive, et toutes les procédures anormales (remontée rapide, remontée lente, rupture de palier) de façon à ce que les futurs plongeurs autonomes aient des notions de planification et sache réagir et appliquer un protocole de sécurité en cas d’incident. En ce qui concerne le Niveau 3, l’approfondissement se poursuit avec les notions de plongées en altitude et de respiration d’O2 en surface. De même, on propose des exercices plus complexes de manipulation des tables pour s’assurer que la notion de planification de plongée est comprise et maîtrisée. Pour les Guides de Palanquée Niveau 4, on ne fait rien de plus qu’au niveau 3, si ce n’est une préparation à un examen formaté avec des exercices de type résolution rapide, et des problèmes complexes de plongée. Ainsi les futurs Guides devraient toujours savoir quoi faire et quel protocole appliquer pour garantir la sécurité des plongeurs qu’ils encadrent.

Alors, pourquoi c’est anachronique que d’enseigner les Tables MN90 ? Aujourd’hui, mis à part les plongeurs débutants, peu ou prou, tous possèdent un ordinateur de plongée, la plupart multi-gaz. Je rencontre souvent des plongeurs et plongeuses qui n’ont même pas de Tables dans la poche de leur stab. Les Tables MN90 ne correspondent plus du tout à la pratique récréationnelle de la plongée d’aujourd’hui, en effet, on effectue aujourd’hui de la plongée multi-profondeur en privilégiant la plongée sans ou avec peu de paliers. La planification préalable des plongées (et donc de la décompression) est souvent réduite à son strict minimum, car le profil de plongée s’établit au fur et à mesure pendant l’immersion. Dans une ^même palanquée, il est très rare que tous les plongeurs aient le même modèle d’ordinateur, ce qui induit que les modèles de décompression sont tous différents au sein d’un même groupe, et que chacun aura sa propre vitesse de remontée préconisée, avec des durées de palier différentes pour chaque plongeur…

L’enseignement des Tables considère un seul modèle de décompression pour toute la palanquée, avec une même vitesse de remontée, et donc une gestion unifiée de la décompression, ce qui ne correspond plus du tout à la réalité actuelle. Aujourd’hui on gère des profils de plongée et plus des profils de décompression en plongée loisir.

D’autre part, les Tables ont été conçues il y a maintenant presque 25 ans, par la Marine Nationale sur la base des Tables du Groupe d’Etudes et de Recherches Sous-Marines en 1965 (les fameuses GERS65 avec leur « 30 mètres/30 minutes, pas de palier ») avec une population de plongeurs hommes militaires en très bonne forme physique, âgés d’une trentaine d’années, alors que l’âge (et la forme physique) des plongeurs d’aujourd’hui ne rentre plus dans ce cadre.

Mais alors, pourquoi continue-t-on à enseigner l’usage des Tables ? Cet enseignement n’est pas propre à la FFESSM, les autres écoles de plongées telles que PADI ou SSI ont elles aussi intégré un tel cours dans leurs cursus alors que leur philosophie n’est pas du tout dans les même orientations que la FFESSM. Cela correspond donc à un besoin spécifique de notre sport et pas à un côté « ringard » et vieillot de notre bonne vieille Fédération.

L’enseignement des Tables permet d’aborder les notions de décompression et de sensibiliser les plongeurs aux procédures à mettre en œuvre pour adopter un modèle de décompression, ce cours permet d’aborder les thèmes de profondeur plancher et de profondeur plafond… De plus, cela permet de donner des billes aux apprenants en leur indiquant les protocoles à appliquer en cas de profil de plongée anormal, comme de se ré-immerger en moins de 3 minutes à mi-profondeur, et ce, pendant 5 minutes puis de remonter et d’effectuer les paliers en cas de remontée rapide, voire remontée « champagne » !

Comme ce qui ne peut pas arriver survient quelquefois, un ordinateur de plongée peut tomber en panne, ne plus rien afficher ou donner des indications totalement incohérentes. Avoir eu un cours d’utilisation des tables (et s’en rappeler) permet de se raccrocher à un modèle de décompression de secours et de garantir sa propre sécurité (ou celle de sa palanquée si on est le Guide), à condition de les avoir dans sa poche de stab !

Pendant les formations techniques, je vois toujours mes stagiaires les yeux rivés sur l’ordinateur pendant les exercices de remontée assistée (ce qui ne sert pas à grand-chose du fait que la profondeur indiquée est celle relevée 1 à 2 secondes plus tôt). L’ordinateur, dans ce cadre particulier ne sert qu’à mesurer le temps de plongée et à se mettre en alarme si la vitesse de remontée est trop rapide. Aucun ordinateur ne sait gérer les profils bizarroïdes des plongées techniques. Il est donc tout simplement indispensable de connaître les Tables, leur règles d’utilisation, et de les utiliser en plongée technique (et donc d’éviter de suivre les indications de palier produites par les ordinateurs).

Enfin, cela me paraît une bonne pratique que de planifier systématiquement ses plongées à l’aide des Tables, en effet, cela permet à chaque plongeur de savoir a priori quelle profondeur on va atteindre, quel temps de plongée on prévoit de faire, et à combien de temps de palier on peut s’attendre à effectuer.

En conclusion, je pense qu’enseigner les Tables MN90 en 2014 n’est pas anachronique, et cela ne le sera pas non plus en 2020. Par contre, il est vraiment important que les moniteurs adaptent le contenu de ce cours et insistent bien sur le fait que les tables sont un bon outil, dépassé certes, mais qui permet de plonger en sécurité. De même, il faut intégrer dans les formations un cours qui détaille l’usage des ordinateurs, et qui ne se contente pas de donner des critères de choix d’achat. N’oublions pas qu’un trait propres aux Françaises et Français est de ne pas lire les modes d’emploi lors du déballage de l’ordinateur de plongée (ou de tout autre objet !). Un cours montrant les manipulations possibles, les indications fournies, les réglages personnalisés me parait absolument indispensable,  tout comme le fait de conseiller aux plongeurs et plongeuses de « durcir » leurs ordinateurs en fonction de leur âge, tout au moins dès qu’on a dépassé la quarantaine !

Pour terminer, je ne peux que vous recommander la lecture de « Tables Marine Nationale MN90 » de Jean-Noël Trucco, excellent fascicule qui permet de connaître l’histoire des tables ainsi que leur utilisation par le menu, et qui est pour moi un peu comme une bible !

Et vous qu’en pensez-vous? Prenez-vous toujours vos Tables MN90 avec vous en plongée ? Merci d’avance pour vos retours !

20 réflexions au sujet de “Enseigner l’usage des Tables MN90, est-ce que c’est anachronique ?”

  1. Je plussoie à tout ce que tu as écrit là 🙂
    J’ai effectivement toujours mes tables avec moi et un timer en redondance de l’ordinateur.

  2. Salut Phil
    Je suis pompier volontaire depuis 15ans et plonger depuis 30 ey la secu et un peut une obligation pour moi, sachant que le risque 0 n’existe pas je plonge toujours avec mes tables en proche + sur la deuxième sortie de mon bloc un détendeur un mano et un direc système, ca fait doublon mais je suis parrė au cas ou.
    Cordialement.

  3. Tout à fait d accord avec ce que je viens de lire 🙂

    Perso je plonge avec ordinateur + prondi et tables en poche.
    Je fais un cours sur les tables et un sur les ordis.

    • Salut Séverine !
      Merci pour ton retour, je pense que je vais revoir mon cours sur les ordis, mais je ne sais pas encore trop comment ! 🙂

  4. salut j’enseigne le N2 dans mon club et franchement tout les ans je leur explique bien que les tables n’est pas un casse tête vieux de plus de 40 ans mais un outils pour prévoir la plongée avant la mise à l’eau et surtout en cas de panne de pile de notre ordi chose très peu vérifié avant la plongée.

    • et pour l’ordi il y a beaucoup d’erreur comme la vitesse de remontée les gens ne font pas attention si c’est américain ou français, l’eau douce ou salé, l’altitude et en effet la lecture du mode d’emplois.

      • Merci Seb pour tes commentaires !
        Effectivement, on a vraiment un souci chez nous sur la lecture des modes d’emploi ! 😉

  5. Merci pour cet article ! Perso j’enseigne la plongée et plonge aussi pour moi. Mes cours utilisent les tables comme support pour mieux expliquer les ordi. Plus simple d’approche et comme tu dis, on y trouve les protocoles particuliers.
    J’ai tjrs des tables dans ma caisse mais pas en plongée : les techniques se font avec des marges conservatives et la redondance sur soit un vieil ordi dans la stab, soit l’ordi des coéquipiers.

    • Merci Gilles pour ta contribution ! Perso, je limite l’usage des tables aux plongées techniques

  6. Bonjour,
    Pour ma part : Ordinateur et par sécurité : tables MN90, anciennes COMEX (si courant ou efforts), montre Yema-marine, Profondimétre Spiro, détendeur principal Mistral 2006, Scuba R190 en secours (autre sortie) avec sur la stab un scubapro-Air2…
    Suis un maniaque, je plonge depuis 1962, ma première tétée au Mistral !

  7. Bonjour,

    Merci pour cette réflexion qui n’est pas anachronique, contrairement à l’utilisation des tables (ce qui est différent de l’enseignement de l’usage des tables).

    Concernant le sentiment de sécurité qu’on a en prenant des tables avec soi « au cas où l’ordinateur tombe en panne », je ne suis pas de cet avis : l’après-midi, après une plongée faite le matin à l’ordi, le calcul de successive qui serait fait en cas de panne n’a pas de sens car la décompression du matin ne correspond pas à celle des tables. Pour les pannes, j’emploie d’autres méthodes : utilisation des ordi des autres, mettre fin à la plongée en se souvenant si on était dans les paliers (si oui, à combien). Dans le doute, maximiser les paliers.

    Concernant le fait de planifier ses plongées avec les tables, cela me semble bien compliqué et infaisable dans le cadre d’une successive avec la 1ère faite à l’ordi. L’ordi permet de planifier sa plongée, pourquoi s’en priver ?

    Je suis donc
    – 100% favorable à un enseignement allégé par rapport à ce qui pouvait se faire il y a 20 ans et surtout adapté.
    – d’avis de remplacer l’utilisation des tables comme moyen de secours par d’autres méthodes.
    Les tables sont maintenant pour moi le moyen de comprendre le fonctionnement des ordi et donc leurs limites d’utilisation

    • Merci Ludo pour commentaire très constructif ! Effectivement, les tables sont un bon moyen de comprendre les mécanismes de saturation. Il s’agit ensuite d’être en mesure d’enseigner l’usage de la planification de plongée via les ordinateurs.

      • Salut, Tout d’abord un grand merci pour ce site et ton partage d’expérience.
        Concernant les tables, je plonge effectivement avec des tables immergeables en secours et m’astreint (sinon elles ne servent à rien) à retenir mon heure d’immersion et la profondeur maxi atteinte. Ainsi en cas d’une éventuelle panne de l’ordinateur je devrais être capable de calculer une éventuelle désaturation. Pour les successives c’est un peu plus compliqué même si cela n’est théoriquement pas impossible. Dans mon club, nous évitons de changer de palanquée sur la même journée. De plus j’essaie de bien choisir mon binôme et d’être une vraie palanquée et non d’avoir 2 solos plus ou moins côte à côte. Les paramètres ne sont alors pas foncièrements différents et doivent nous permettre de se caler sur l’ordinateur restant. Sachant également que dans ce cas nous convenons d’une augmentation systématique de 3 à 5 mn du temps de palier.
        Si j’ai un reproche à faire aux différents DP que j’ai eu, c’est sur le briefing. S’il est généralement très complet pour le site, les profondeurs et faune, il manque peut être justement les 2 mn qui pourraient être prises pour sortir une table et monter un peu les données de base sur la plongée envisagée (profondeur et paliers si dépassement d’un temps de xx mn.
        En effet après el briefing tout va très vite et il faut finir de s’habiller et les palanquées se mettent à l’eau rapidement.
        Nous n’avons ou ne prenons pas le temps de planifier alors notre plongée.

        • Merci pour ton retour !
          Je prends note de ta suggestion pour rappeler les paliers prévus en fonction du temps d’immersion ! ☺

  8. et bien pas du tout d’accord avec cet article.
    Désolé 😉

    Pour plusieurs raisons :

    1 – Profil des plongeurs et des plongées.
    La FFESSM déconseille l’usage pratique des tables, à moins d’avoir le physique des plongeurs de la marine nationale et le même type de profil de plongée …
    Est-ce le cas des la grande majorité des plongeurs et plongeuses ?
    J’en doute fortement.
    Donc dans quelle mesure le recours à une table MN90 met le plongeur en sécurité ?

    2 – Mélange des méthodes de décompression.
    Dès le niveau 2, les moniteurs expliquent dans leurs cours théoriques que le mélange de procédures de décompression est à proscrire.
    Or c’est faire un joli gloubiboulga de que passer d’une plongée à l’ordinateur à une plongée aux tables, que ce soit sur lors d’une plongée simple, successive ou consécutives.
    A noter que la distinction en simple, successive ou consécutive n’a aucun sens avec une décompression par ordinateur.
    Quel est le sens de ce mélange ?
    Qui a validé la pertinence scientifique, physiologique et médicale d’un tel mélange ?

    3 – Panne d’air.
    le recours aux tables après une panne d’ordinateur peut même être dangereux !!
    Prenons l’exemple d’une plongée où les plongeurs passent 5 minutes à 50m, 5 min à 40m et 10 min à 30m.
    Avec un ordinateur, les plongeur sortent avec environ 50-60b dans le bloc (base 15l, 200b, conso 20l/min surface).
    Si les ordinateurs tombent en panne au pire moment, soit à la 20e minute, alors nos plongeurs sortent leur jolies tables (50m et 20 minutes fond), soit 26 minutes de paliers. Avec une jolie panne d’air pour toute la palanquée à la clé.
    Où est donc la sécurité dans le recours à une table comme moyen de décompression de secours ?

    4 – l’enseignement des tables tel qu’il est pratiqué par la FFESSM n’a rien à voir avec l’enseignement dispensé aux professionnels et militaires utilisant des tables.
    Les moniteurs fédéraux se font un plaisir de triturer les méninges de leurs élèves avec des calculs d’heure de sortie sans aucun intérêt, avec des procédures de rattrapage (remontée non contrôlée, interruption de paliers …) quasiment impossibles à mettre en oeuvre dans la réalité au vu des conditions exigées et sans aucun analyse des causes qui ont engendrées ces profils anormaux.
    Et je passe sur l’utilisation de l’O2 entre deux plongées, couramment utilisée par les plongeurs loisirs.
    Ou la plongée en altitude, pour laquelle les tables MN90 n’ont jamais été prévues et encore moins validées scientifiquement …
    En revanche, la seule information commune à tous les ordinateurs, quelle que soit leur algorithme et mode de calcul, la DTR, est aux abonnés absents.
    Et, quand elle est vue, la DTR n’est jamais utilisée comme base de planification et dans les calculs de consommation nécessaire pour terminer une plongée.

    Je pose donc la question :
    Quel est l’intérêt de faire de la théorie pour de la théorie ?
    Hormis le fait de d’imposer à des élèves les tortures intellectuelle qu’on a soit-même endurées quelques années avant, je ne vois pas.

    La décompression est la première étape de la planification concrète d’une plongée, basée sur des calculs simples pour être mis en oeuvre en qlq secondes sur le bateau lors du briefing avec les équipiers.

    Pour conclure :
    enseigner l’usage des tables : non
    enseigner simplement les tables pour expliquer les principes de décompression : pourquoi pas. Il existe pourtant bien d’autres moyens de le faire et plus rapidement.
    enseigner les principes de décompression et la planification concrète d’une plongée dès le niveau 2 : oui

    • Merci pour ton retour très argumenté ! 😉
      Juste pour info, aujourd’hui il est recommandé de ne plus enseigner les les calculs d’heure de sortie quand il y a un cours théorique effectué sur les Tables MN90

  9. malheureusement, cette recommandation n’est pas nationale
    combien de cours connait-on où les pauvres prépa N2 et N3 passent 4h (2x2h) à calculer sur les tables ?
    sans qu’il leur soit donner le moindre cours réaliste et concret sur le fonctionnement et le paramétrage des ordinateurs

    • Je suis bien d’accord ! A ce propos, le mémento préparé par Alain foret sur les ordinateurs de plongée est vraiment très bien !

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